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Rhétorique vert tendre – Les Marches du Pays

Jacques Perrin
La Nation n° 1941 18 mai 2012

Lorsque nous mettons le nez dehors ce samedi 5 mai vers six heures et demie, le temps est bouché; il a beaucoup plu, le sol est détrempé. Le grand manitou des Marches du Pays, notre guide Alexandre Pahud, se serait-il pour une fois trompé? N’aurait-il pas fallu renvoyer la onzième Marche à des jours meilleurs?

Dans le train qui nous conduit à Bex, un participant s’exclame: «L’Italie commence à Roche!» Peut-être, mais l’Italie est bien terne aujourd’hui. M. Pahud dit croire à l’infaillibilité de Météo Suisse. Il a raison. Dès que nous arrivons à la halte de Fontannaz-Seulaz («ce n’est pas la gare de Lyon», dit-il), en dessous de Gryon, les nuages s’éloignent. Un soleil livide perce à travers les restes de brouillard. Notre périple chablaisien commence, nous traversons l’Avançon.

Chaque Marche du Pays a sa couleur dominante. En ce printemps humide, c’est le vert tendre des arbres feuillus, rehaussé par les tons sombres des sapins et qui vire au blanc éblouissant dès que le soleil vient frapper le feuillage. Nous palpons les feuilles à notre portée et l’expression «vert tendre» prend tout son sens: quelle douceur! On croirait du velours.

Nous marchons deux heures sur des sentiers satisfaisant l’idéal du marcheur. Ils sont tapissés de brindilles ou de feuilles mortes qui ont le bon goût de sécher avant notre passage. Nous franchissons la Grande et la Petite Gryonne et l’heure du pique-nique arrive, dans une clairière où le soleil tape dur. On aperçoit derrière les arbres les Dents du Midi encore très enneigées. Chacun sort ses victuailles, dont un vin blanc de l’Hérault et un fromage nommé le Maréchal. Le maréchal? Quel maréchal? La Licra a-t-elle posté des observateurs à proximité? La vigilance de Jean Martin s’étend-elle jusque dans ces bois?

Les odeurs de l’ail des ours, des herbes fumantes et du cervelas grillé nous distraient de notre crise de paranoïa. Comme toujours, en quelques touches, la modernité se rappelle à notre bon souvenir. Cette fois, c’est un groupe de «bikers» équipés de casques monstrueux et colorés; on les croirait sortis de quelque manga.

Après le repas, nous gagnons le hameau de Forchex puis suivons le Chemin du Sel jusqu’à Plan d’Essert. Dans une large trouée, nous découvrons la frontière formée par le Rhône, les Dents du Midi, les Jumelles, le Grammont, Monthey, Vouvry, la raffinerie de Collombey.

Ensuite, au-dessus des vignes qui dominent Ollon (Aulonum en latin), M. Pahud nous entretient du passé médiéval de cette localité. Il est question de la bataille de la Planta en 1475 et de l’invasion valaisanne l’année qui suit.

C’est l’Abbaye de Saint-Maurice, détail piquant, qui a payé durant deux cents ans les traitements des pasteurs réformés de l’endroit.

Nous continuons à marcher dans une zone microclimatique où les pins parasols dignes de la région PACA – pour sacrifier aux dénominations actuelles – abondent.

Nous descendons les vignes en direction de Saint-Triphon. Intervient alors la dernière «surprise du chef». La randonnée dite «de plaine» nous a réservé quelques montées et descentes inattendues. Nous empruntons un sentier ne figurant pas sur la carte pour gravir au plus vite l’éminence au sommet de laquelle nous visitons des ruines médiévales, dont une chapelle «très premier âge roman» selon M. Pahud.

Durant la montée, nous nous croyons dans la jungle de l’Ile au Trésor. Puis, près de l’imposante tour, nous admirons la complexité structurelle du bourg castral avec ses divers remparts et sa barbacane disparus. Nous apprenons l’existence de la noble famille savoyarde Pontverre, mal connue des historiens, mais dont la puissance se laisse deviner.

Nous traversons pour finir le village de Saint-Triphon, qui ne ressemble à aucun autre (aucun village ne ressemble à un autre). Détail postmoderne: on aperçoit un bouddha trônant sur une boîte aux lettres; il vaut bien les nains de jardin.

La balade «officielle» s’achève à la gare d’Ollon. Une fondue réunit à Aigle les participants peu pressés de rejoindre Lausanne. La onzième Marche a été bien fréquentée. Sur quelques portions de route, nous avons formé une petite masse vaudoise en déplacement.

Bizarrement, la rhétorique a eu son heure de gloire au milieu des bois vert tendre. Nous avons d’abord parlé des seize anaphores de M. François Hollande («Moi Président de la République…»). M. Delacrétaz, autre président, a remarqué qu’il utilisait lui-même beaucoup l’épanorthose, consistant à exposer les idées de façon floue pour les préciser ensuite, une figure bien vaudoise en somme… Nous relevons les euphémismes de notre guide: une montée «un peu sèche» nous essoufflera vite, tandis que les «brusques» descentes nous casseront sûrement les pattes.

Nous ne lui en voulons aucunement car grâce à lui, une nouvelle fois, nous avons éprouvé le Pays et son histoire avec tous nos sens, nos pieds et nos genoux.

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